Encore sous le choc des attentats de Paris< les communautés religieuses et laïque ont célébré une fête du Roi hautement symbolique, hier à Arlon.
Voici le discours de l'AMA:
Louange à Allah qui a créé les cieux et la terre, et établi les ténèbres et la lumière.
L’horreur a encore frappé, après avoir touché récemment la Turquie, la Russie, le Liban, avant hier soir c’était autour de la France à Paris. L’Association des Musulmans d’Arlon (AMA) tient à présenter ses plus sincères condoléances aux victimes, à leurs familles et à leurs proches. L’AMA condamne vivement et unanimement de tels actes, renvoyant l’humanité à ses heures les plus sombres de l’histoire. RIEN NE PEUT JUSTIFIER DE TELS AGISSEMENTS. L’assassinat de masse de personnes innocentes ne peut relever d’une conscience humaine digne de ce nom et encore moins au nom d’une croyance.
Il y a cent ans, la guerre jetait sur nos routes et sur celles de France, des Pays-Bas et, par-delà la manche, sur celles d’Angleterre, un million et demie de civils belges, fuyant les bombardements, les exécutions sommaires, les pillages, les brutalités sans limite.
Vingt-cinq années plus tard, la même terrible tragédie de l’exil et de la peur s’abattait encore une fois sur les routes d’Europe. Qui n’a pas aujourd’hui, dans son entourage familial, ou dans ses amis, quelqu’un dont la grand-mère ou le grand-père, la mère ou le père, ou tout autre membre de sa famille, a connu ces routes de larmes et de sang ? Fuir ! Sans la promesse du retour, sans la perspective d’un asile, avec pour seul bagage son humanité mise à nue, mise à mal, fragile et douloureuse. A ceux qui fuient la mort et la désolation, la misère et l’humiliation, que restent-ils d’autre, en effet, sinon cette humanité qui nous constitue tous ? Dans le Coran toutes celles et tous ceux qui se retrouvent loin de chez eux sont désignés du terme de « fils du chemin ». Ils font partie de ceux à qui l’aumône légale doit être destinée. Cette solidarité islamique trouve sa source dans l’empathie que le Prophète de l’Islam a toujours conseillée à ses compagnons. Il disait en effet : « Aime pour les gens ce que tu aimes pour toi-même et tu seras croyant ».
Certes nous avons besoin, face à ce que les médias appellent aujourd’hui, la crise des migrants, de solutions pratiques, techniques. Certes aux inquiétudes compréhensibles nous devons apporter des réponses réalistes, pragmatiques, concrètes. Mais si ces réponses, ces solutions ne sont pas éclairées, guidées par une vision éthique, par ce faisceau des valeurs universelles que sont la Paix, la Justice, l’Amour, la Solidarité, alors ces mesures montreront très vite leurs limites. Elles ne seront jamais, aux yeux de celui que la peur ou l’individualisme habitent, assez satisfaisantes, assez efficaces, assez rassurantes. Si la réponse à la crise des migrants trouve sa formulation dans la peur de certains de nos concitoyens ou dans des objectifs électoraux, cette femme, cet homme, ces enfants qui viennent chercher refuge chez nous seront vite réduits à n’être qu’une catégorie de plus de la misère, des données abstraites, des chiffres sans âmes jetés dans la froideur des statistiques, des objets de marchandage politique.
Ce à quoi nous invitent les réfugiés aujourd’hui, qui ne représentent, rappelons-le, qu’un infime pourcentage de la population européenne (à titre indicatif : 625.000 demandeurs d’asile sont arrivés en 2014 en Europe, soit 0,1 % de la population de l’UE, et entre janvier et août 2015, 7.000 personnes ont obtenu en Belgique le statut de réfugié ou de protection subsidiaire. Cela ne représente que 0,06 % de la population belge)…
Ce à quoi, donc, nous invitent aujourd’hui les réfugiés, c’est à un sursaut moral. Notre modernité, notre Europe a, certes, atteint de hauts niveaux de compétences scientifiques, technologiques (en spoliant une grande partie du monde, il ne faut pas minimiser cet aspect dans la tragédie actuelle des réfugiés…), mais n’a-t-on pas perdu, sur ce chemin du progrès, en compassion, en générosité, en empathie ? Les drames qui frappent aujourd’hui à nos portes n’adviennent pas par hasard, et ils seront amenés à se rejouer sans fin, dans toujours plus de chaos, de peur et de misère, si nous ne nous engageons pas dans la voie d’une mutation éthique, profonde, sincère, afin de revivifier en nous, individuellement et collectivement, ces valeurs universelles qui, aujourd’hui, n’ont jamais été aussi proches de la rhétorique creuse et sans vie.
Nous voulons, enfin, nous adresser maintenant, plus spécialement, aux mamans ici présentes, à ces mères pour qui l’enfant est la chair de leur chair, et leur poser cette question : risqueriez-vous de mettre en péril la vie de vos enfants en les jetant sur les routes de l’exil si vous aviez encore une once d’espoir qu’en restant chez vous, dans votre maison, votre ville, votre pays, vos chers bambins trouveraient sécurité et paix ? Vous les mamans, vous savez, vous le savez de tout votre être, qu’une mère ne prend la route avec ses enfants, dans de telles conditions d’insécurité, de violence et de peur, que s’il n’y a plus aucun espoir.
L’empathie, la compassion doivent guider notre action.
Certes c’est une voie difficile, car elle contrecarre nos habitudes, nos instincts individualistes mais c’est la seule voie qui nous permet d’accomplir en nous notre humanité. Dieu dit dans le Coran, au sujet de ce choix éthique : « Et qui te dira ce qu'est la voie difficile ? C'est délier un joug [affranchir un esclave], ou nourrir, en un jour de famine, un orphelin proche parent ou un pauvre dans le dénuement. Et c'est être, en outre, de ceux qui croient et s'enjoignent mutuellement la persévérance, et s'enjoignent mutuellement la miséricorde ».